Adil Rais, entrepreneur à l’écoute !

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Président de Siprof et Plastex, Adil Rais a su prendre de ses premières années, ce qui fera le succès de sa carrière professionnelle. Une association fine d’écoute, d’analyse et de stratégie opérationnelle. Sans être l’homme de l’automobile dont se revendiquent nombre de ses confrères, il a su intégrer cet univers tout en protégeant l’acuité de son expertise personnelle. Nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec lui à l’occasion du salon Automechanika Istanbul. Eclairages.

Comme vous sentez-vous de retour sur un salon professionnel après la période de crise que nous venons de subir ?

Être de retour sur un salon me procure une grande joie, un vrai bonheur, celui de rencontrer des gens, clients, amis, fournisseurs, partenaires… d’échanger avec eux. Rien ne remplace vraiment le rapport humain d’une personne à l’autre. On respire enfin. Je ne nie pas que les outils digitaux ne nous ont pas aidés pendant cette période difficile mais ils restent des compléments au rapport humain. Selon les métiers, nous pouvons presque tout dispatcher et je crois que l’alliance entre les relations directes et les Visio vont rythmer les échanges de demain. Il faut cependant mentionner que chez les méditerranéens, de notre côté comme chez les européens du sud ou le Liban, il est plus important qu’ailleurs de se voir, de partager, de sentir, c’est ce qui procure la confiance entre nous.

Faut-il être du sérail pour être admis dans le monde l’équipement automobile ? 

J’ai commencé ma carrière dans le design, plus exactement dans une entreprise qui fabriquait des mobiliers design (Ital Ceram) en Belgique là où j’ai effectué mes études. La formation que j’ai suivie, et mon expérience professionnelle ont porté sur le conseil stratégique. Cela fonctionnait plutôt bien mais je voulais créer ma propre société au Maroc ou ailleurs, créer une nouvelle voie et être libre de mes choix. Une opportunité s’est présentée au Maroc et je l’ai saisie. J’ai ainsi été le fondateur industriel de Plastex puis le co-fondateur de Siprof qu’il nous a fallu remodeler. L’automobile ne m’a pas fait peur, parce que nous parlions plus un langage industriel que celui de l’automobile et lors de ma formation en conseil stratégique, nous abordions le volet industriel. C’est comme cela que je me suis intégré, avec d’autant plus de facilité que les structures existantes et les process n’étaient pas encore très évoluées à l’époque. 

Comment avez-vous abordé l’entreprise ?

Je venais du monde industriel et il fallait vraiment faire quelque chose. Il a fallu peu de temps pour comprendre. Et pour comprendre, il faut écouter ! J’ai écouté pendant trois mois en accomplissant un tour du Maroc, en allant voir les clients pour discerner leurs attentes. Le consulting, c’est d’abord écouter et cela m’a beaucoup aidé. Il m’a fallu également écouter les partenaires associés de Plastex et de Siprof qui n’étaient pas originaires des mêmes pays. Même si les objectifs sont les mêmes, il existe des différences d’approche, des process différents. Il faut être à l’écoute d’opportunités et on doit changer notre façon de travailler. 

Est-ce que cette expérience vous sert aujourd’hui dans ce qu’on appelle « l’après-Covid » ?

Nous sommes conscients que des métiers vont changer et que nous allons devoir être à l’écoute, absorber de nouvelles productions ou acheter des activités différentes ou complémentaires. La croissance sera un moyen important de pérenniser l’entreprise.

Vous évoquez les nouvelles technologies, les nouveaux métiers, est-ce que le véhicule électrique vous inquiète ?

Le développement du véhicule électrique doit inquiéter toutes les industries nationales et les équipementiers. D’une part, les grands groupes se détachent de leur métier de base pour plus de digital, plus d’électrique, et se dirigent vers une transformation complète. En 2030, les métiers vont être très différents, les réseaux vont aussi être très différents, tout comme les clients et leurs attentes. On voit déjà que les constructeurs automobiles éliminent leurs distributeurs pour vendre sur le net les véhicules. Les pièces vont suivre le même chemin. Bien sûr, nous pouvons compter sur un parc ancien pendant 20 ans encore, mais il ne faut pas s’affranchir des innovations qui vont marquer notre activité dans sa globalité et nous adapter à cette nouvelle transformation.

A vous entendre, on pourrait voir la transformation de l’automobile comme une opportunité pour le Maroc ?

Il n’y a rien qui ne puisse être envisagé pour répondre aux nouvelles demandes que ce soit dans la conception ou le montage des véhicules. Nous pouvons envisager de travailler sur des véhicules adaptés à des niches, c’est tout à fait possible. Il faut nous réveiller en pensant à ce que nous pourrions faite pour anticiper les prochains projets. Par ailleurs, le marché marocain reste sous-équipé en nombre de véhicules par habitant par rapport aux pays européens. Le parc marocain doit évoluer pour rattraper l’Algérie ou les pays du sud de l’Europe. 

Quel est votre avis sur la croissance du Maroc ?

Le Maroc continue de se hisser vers un statut de hub industriel vers l’Afrique et même vers l’Europe. Cependant, tous les efforts sont dirigés vers l’export, ce qui est très bien en soi puisque cela permet au pays de rentrer des devises. Paradoxalement, cela nuit au marché national qui est délaissé. Il faudrait faire en sorte que l’on travaille pour le marché interne national et que l’on procède à un rééquilibrage profitant au marché domestique. Je crois qu’il faut construire un Maroc mieux organisé pour mieux vivre dans notre pays. Il doit offrir plus de liberté, avoir plus de véhicules, plus de moyens pour se déplacer, pour accueillir encore mieux les touristes et pour développer le marché national. Cela sous-entend de soutenir davantage l’industrie locale par des incitations de diverses natures, par une politique claire, des outils et des incitations claires. Nous devons aller au-delà des idées, des discours, des réflexions pour agir maintenant. Il nous faut sortir du discours convenu et évoquer très précisément les actions à venir. L’un des motifs de préoccupation aujourd’hui s’illustre par l’interrogation « comment travailler ».

Il faut soutenir activement la production nationale, l’industrie nationale à l’image de ce qu’ont réussi à faire les turcs par exemple. Cela signifie déterminer des process pour soutenir l’industrie. Le consommer localement, marocain en fait bien sûr partie. Il est urgent de consolider les unités existantes et en créer d’autres, sinon les grands groupes internationaux prendront la place et on deviendra intellectuellement un pays pauvre.

La concurrence mondiale est forte et la Maroc est bien seul…

Le Maroc représente une opportunité de développement pour de nombreux européens, mais il est vrai que le nombre de prétendants est élevé, que ce soit du côté des pays de l’Est, du côté de la Turquie, de l’Egypte. En Somalie et en Ethiopie, les pays se battent pour l’activité du textile. Nous avons une alternative : il ne faut pas croitre que cela va se faire tout seul, il faut mettre les moyens en place pour soutenir les investisseurs, que le Maroc soit ouvert pour attirer les investisseurs. Par ailleurs, l’environnement économique du Maroc qui s’est bien amélioré doit encore s’améliorer davantage. Par exemple, en favorisant les déplacements, en créant des aides à l’installation, en soutenant l’implantation sur le sol national, et aussi en transformant les ressources humaines vers les métiers nouveaux. Lorsque le besoin s’en fera sentir, il faudra qu’on ait ces ressources humaines à disposition. 

Quel regard portez-vous sur les équipementiers marocains ?

Paradoxalement, les acteurs marocains de la pièce trouvent plus de difficultés à s’imposer sur le marché national qu’à l’international même en Chine ! Il existe une certaine « tiédeur » pour tout ce qui vient de l’intérieur par rapport à ce qui est importé. Ce qui vient de l’extérieur apparaît meilleur que ce qui est fabriqué  au Maroc. Je ne nie pas qu’à une certaine période l’industrie marocaine n’était pas aussi performante qu’elle aurait dû. Mais ces temps ont changé et nous disposons d’acteurs de grande qualité. Nous avons besoin de l’aide de l’Etat pour véhiculer une meilleure image de notre industrie.

Que pensez-vous du label Salamatouna ?

Je ne crois pas que Salamatouna soit l’outil pour transformer les choses. En ce qui concerne la contrefaçon, par exemple, ce ne sont pas les fabricants marocains qui s’y adonnent. Au contraire, ils s’inscrivent dans des process normés pour être adoptés par les grandes organisations internationales qui sont sur des marchés normés. La contrefaçon provient de certains importateurs -mais pas tous bien évidemment – qui ne jouent pas franc jeu. Il y a de grands distributeurs et importateurs qui travaillent bien, qui sont transparents et optent pour la qualité. Et il y en a d’autres qui font du mal à la distribution avec de l’importation de produits contrefaits ou de mauvaise qualité. Cependant, la contrefaçon a beaucoup baissé grâce à l’action de la douane qui a joué un grand rôle ces dernières années. On sait cependant que c’est le marché de prix qui attire les contrefacteurs, la solution serait de travailler sur le pouvoir d’achat et l’augmenter au Maroc. En réalité, c’est surtout la mauvaise qualité qui est problématique et qui attire par son bas prix. Il faudrait sans doute faire des assises nationales de l’industrie pour produire des outils qui changent la donne et soient plus adaptés que Salamatouna.

La deuxième gamme s’avère parfois une solution pour proposer des prix plus attractifs, qu’en pensez-vous ?

La seconde gamme peut être une solution mais il faut être lucide, il y aura toujours un prix plus bas proposé sur le marché, or la qualité exige un coût minimal, et celle-ci ne joue pas dans cette bataille. Chez Plastex ou Siprof, nous ne proposerons pas de seconde ou troisième gamme qui ne soit pas de qualité et nos fournisseurs à l’étranger sont de premier ordre, donc plus chers. Le niveau de prix à la sortie est forcément plus élevé. Si l’on part de matières premières bas de gamme, de composants de mauvaise qualité, alors forcément les coûts sont moins élevés, et le prix des pièces moins cher. Mais ce n’est une solution pour personne. 

Vous évoquez le coût des matières premières, comment accueillez-vous les hausses brutales de ces derniers temps ?

La première chose qui a été affectée par la hausse des matières premières, ce sont nos marges ! Nous n’avons pas pu, en effet, répercuter les surcoûts et tout le monde dans notre secteur a vu ses marges s’écrouler. La seule façon de nous en sortir passe par l’économie, l’automatisation et l’innovation.

Un autre facteur nous a posé et nous pose problème. La Turquie a vu sa valeur de sa monnaie diminuer d’un part, et d’autre part, les fabricants ont été aidés par leur gouvernement. Ces mesures se font au détriment du Maroc, par exemple, qui n’utilise pas ces outils. Les pratiques anticoncurrentielles viennent de Turquie mais aussi d’Inde ou du Brésil pour ne citer que ceux-là. C’est pourquoi, il est important que le Maroc bénéficie d’une politique de gestion plus réelle, plus efficiente pour pouvoir lutter contre ces concurrents qui nous envahissent. Nous attendons beaucoup de l’Etat pour nous aider à privilégier l’industrie marocaine.

Propos recueillis par Hervé Daigueperce

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.maghreb-rechange.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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